À Monsieur Paul Atanga Nji,

Ministre de l’Admistration territoriale, et à

Monsieur Patrick Simo Kamsu, Préfet du département de la Lékié .

Objet :  Création illégale du « village de Nkol Ebae» pour le compte de l’arrondissement de Sa’a en territoire administratif d’Obala.

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Préfet,

Comme dans ma précédente lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l’Administration territoriale, je vous prie de bien vouloir faire preuve d’indulgence au sujet de la forme peu orthodoxe de ma correspondance: elle vous est adressée à travers les réseaux sociaux, et cela n’est pas courant. Deux raisons justifient ce choix : les exigences de la modernité, qui impose de nouvelles habitudes, et le souci de la transparence , qui procède des principes de la République et de la démocratie. À l’ère de la technologie digitale et des nouvelles techniques de la communication et des informations en effet, les réseaux sociaux apparaissent comme un excellent raccourci à travers lequel une correspondance parvient presque instantanément à son destinataire. Et puis, comme le dit Hegel dans les «Principes de la philosophie du droit», l’État est « le Dieu terrestre». Il est donc partout, avec nous, dans les groupes WhatsApp ou à Facebook; les citoyens ne peuvent pas se digitaliser sans que l’État ne se digitalise lui-même : avant ce soir donc, les destinataires de ma correspondance l’auront reçue et lue comme il convient. Cette correspondance n’ayant pour le reste aucun caractère confidentiel, et vu l’extrême gravité de l’acte administratif que j’y dénonce, il n’y a rien de tel que les réseaux sociaux pour alerter l’opinion et informer par conséquent non seulement « le public qui lit» pour parler comme Kant, mais aussi les dirigeants du pays. Car ceux-ci ne sont pas forcément toujours au courant des injustices qu’endure le peuple.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens  à relever la bonne chance qu’il y a à être, comme moi, citoyen ou citoyenne d’un pays qui, à l’instar du Cameroun , est une république, et qui a officiellement opté pour la démocratie. La République en effet, c’est l’État des droits de l’homme, celui, dit Rousseau, où les lois gouvernent, et où l’intérêt public « est quelque chose », parce qu’il y en a où l’intérêt public n’est rien. Un administrateur, quel qu’il soit, sous-préfet ou Chef d’État, administre la volonté générale à son niveau de responsabilité,  et non quelque intérêt privé, le sien ou celui d’un membre de la famille, d’un ami, d’un allié, mort ou vivant, chose que je dénonce dans les lignes qui suivent. Quant à la Démocratie, qui va de pair avec la République, elle est le gouvernement de la souveraineté populaire. Il est vrai qu’elle est un idéal parce qu’elle suppose un peuple parfaitement éduqué, instruit de ses devoirs et de ses droits; elle suppose  même des conditions qui ne dépendent pas du Citoyen, par exemple l’étendue du territoire ou le relief :« S’il y avait un peuple des dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas aux hommes »; il dit encore :« Il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais de véritable démocratie». On fait donc la démocratie qu’on peut. Je préfère, pour ma part, la définition de Spinoza dans le chapitre XVI du « Traité théologico-politique », chez qui elle se confond finalement à la République au sens rousseauiste du terme : un État « où on a le droit de de penser ce que l’on veut, et de dire ce que l’on pense ».  Spinoza ne dit pas que la démocratie donne le droit de faire ce tout ce que l’on veut,  de dire n’importe quoi et n’importe comment, par exemple d’insulter, d’inciter à la haine, au meurtre : la parole et l’action, dans une république ou dans une démocratie, sont contrôlées par la loi. Celle-ci me donne le droit de penser ce que je veux de l’action d’un ministre et de mon préfet, et c’est ce que je me suis imposé dans cette Lettre. Si j’avais, comme Émilie Zola, à écrire un «J »accuse », j’ indexerais volontiers Monsieur le Ministre de l’Admistration territoriale et Monsieur le Préfet de la Lékié comme des administrateurs  non pas incompétents, mais, pire, pratiquant une administration partiale, en violation de la loi, contraire à l’équité, bafouant crânement l’autorité de l’État et, pis, de la très haute personnalité qui l’incarne : le Président de la République. Je parlerai à propos ci-dessous d’un Axe de la conjuration.

Dans la journée du 30 août 2023 en effet, Monsieur le sous-préfet de l’arrondissement de Sa’a, accompagné de tout l’appareil administratif et coutumier de son territoire de commandement, est venu à Nkoltomo 2, dans l’arrondissement d’Obala, installer solennellement un certain Ewolo Joseph dans les fonctions de Chef de troisième degré de « Nkol Ebae », nom coutumier, mal écrit il est vrai,  désignant la partie routière de Nkoltomo 2 dans l’arrondissement d’Obala, et de Nkoltomo 1 dans l’arrondissement de Monatélé. Ainsi se confirmait l’information que m’avait, quelques mois plus tôt, confiée au téléphone une voix anonyme, information dont j’avais déjà fait état dans ma première lettre ouverte, et que j’avais eu la prudence de traiter comme une rumeur digne d’intérêt : la voix anonyme m’informait que Monsieur le Ministre de l’Admistration territoriale avait instruit Monsieur le Préfet de créer chez feu l’honorable Ndongo Essomba un village de l’arrondissement de Sa’a, village qui serait par la suite érigé en arrondissement. C’est la première étape de ce complot contre Obala qui vient de se réaliser. Il est impossible, Monsieur le Préfet, que vous ne fussiez pas au courant, et que cela fût fait sans votre ordre ; et vous savez parfaitement, j’en suis sûr, que l’honorable Ndongo Essomba, dont vous tenez à défendre la mémoire, a établi sa résidence à Nkoltomo 2, dans l’arrondissement d’Obala ; il est impossible qu’un vieil administrateur civil comme vous ignore les limites  du territoire administratif du département au commandement duquel il a été établi par décret présidentiel ; oseriez-vous dire :« Je ne savais pas » ? Vous avez donc manifestement, de bonne foi, collaboré au faux et usage du faux; ailleurs, on vous jugerait pour bien moins que cela . Êtes-vous Préfet de l’arrondissement de Sa’a ou Préfet du département de la Lékié ? Et vous aussi, Monsieur le Ministre, vous ne pouvez pas prétendre que ce «village» de l’arrondissement de Sa’a, greffé sur le territoire administratif d’Obala, a été créé sans que vous n’ayez été mis au courant, sans que vous n’ayez, signature personnelle et sceau de l’État à l’appui, donné votre autorisation . Qui donc est votre chef hiérarchique : le Chef de l’État, ou la fratrie Ndongo Essomba ? Car vous ne direz pas que vous ne disposez pas au Ministère de données permettant de vous fixer sur l’appartenance administrative et clanique de l’endroit où s’est établi Monsieur Ndongo Essomba. Et sur les 475442 kilomètres carrés de la superficie du Cameroun, seul l’endroit où a construit Monsieur Ndongo Essomba aurait une identité administrative problématique ? Ça signifie que c’est lui le problème. À la borne 50 de la Route nationale numéro 4, où se trouve la résidence de feu l’honorable Ndongo Essomba, le nom du village sur la carte administrative que j’ai toujours fait valoir est bel et bien «Nkoltomo 2», situé entre Komo Mvokani, dans l’arrondissement d’Obala, Nkoltomo 1, dans celui de Monatélé. Vous ne direz pas que vous en avez une version différente au Ministère , et que celle-là, elle aussi œuvre de l’ORSTOM en France, dit le contraire. Et toutes les plaques indiquant les limites entre villages sur la Route nationale numéro 4, qui ont été détruites, que dis-je ? vandalisées par l’honorable Ndongo Essomba, et dont je vais publier les photos à la fin de cette Lettre, n’est-ce pas le Ministère de l’Admistration qui les a fournies à la COGEFAR d’abord, à RAZEL ensuite ? Et n’est-ce pas vous le Ministre de l’Admistration territoriale ? Voyez vous-même, Monsieur le Ministre, à quel point vous êtes tombé bas dans la compromission. Ailleurs, on réclamerait et obtiendrait votre démission. Avez-vous quelque chose contre Monsieur le Président de la République pour lui manquer à ce point de loyauté? En avez-vous après la Région du Centre ? J’écrirai peut-être un jour une pièce de théâtre, une tragédie intitulée « La Trahison de Monsieur le Ministre », qui se terminerait par le soulèvement des habitants d’un village à cause des malversations d’un ministre de l’Admistration territoriale.

Monsieur le Ministre, Monsieur le Préfet, vous pourriez, pour m’intimider, m’objecter, et cela a déjà été fait :«L’État a le droit de créer un village partout où il le juge nécessaire». C’est un argument d’autorité, et donc spécieux. Entendriez-vous  par là que la création d’un village n’obéit à aucune règle, n’est régie par aucune loi ? En préambule dans tout texte portant création d’un village, on lit tout de même :«Vu les nécessités de service », ce qui veut dire, en principe, que ce n’est pas le règne de l’arbitraire. On me dira :«Vous n’est pas juriste ». C’est vrai ; mais je suis citoyen, et c’est assez pour que je dise ce que je pense des affaires de l’État. L’administration est une science, c’est-à-dire un corps de connaissances obéissant à des principes, à des règles de base sans l’observation exacte desquelles on ne saurait parvenir à une connaissance objective, et disons, ici, puisqu’elle est une science pratique, à une gestion objective des hommes et des biens. S’il n’y a pas de lois auxquelles obéit l’administration, alors elle n’est pas une science, et l’administrateur n’est spécialiste de rien. Je n’ai jamais entendu dire que quand on veut créer un village à la limite d’un arrondissement, il faut élargir au préalable le territoire administratif de celui qui va accueillir ce nouveau village et diminuer, donc mutiler le territoire administratif de l’arrondissement voisin ou «donateur» . Ainsi, votre «Nkol Ebae» est la côte d’Adam d’Obala à Nkoltomo 2, village qu’il vous aura fallu endormir pour en créer un nouveau, le vôtre, cousu sur mesure en l’honneur de Monsieur Ndongo Essomba . Plutôt que d’une création de village, on serait  avisé de parler de découpage administratif, de réaménagement du territoire  du département de la Lékié, et même du pays tout entier. Monsieur le Ministre, Monsieur le Préfet, avez-vous compétence de défalquer le territoire administratif d’Obala au profit de celui de Sa’a, et donc de reverser une partie du territoire administratif et des habitants de l’arrondissement d’Obala d’Obala à l’arrondissement de Sa’a ? Si vous en avez le pouvoir, on se serait attendu à ce que le texte portant création du village de « Nkol Ebae» soit assorti de la note :« Le territoire administratif d’Obala se trouve ainsi diminué de celui du village nouvellement créé dans l’arrondissement de Sa’a». Que n’avez-vous vous donc pas organisé une cérémonie de cession du territoire administratif d’Obala au profit de celui de Sa’a ? Ne vous êtes-vous pas dit que, dans le même espace, cohabiteront des habitants,  des voisins immédiats parfois, qui se réclameront de villages et d’arrondissements différents, et que ce serait un cas singulier dans le monde et dans l’histoire ? Moi, par exemple, vous ne me ferez jamais admettre que je ne suis plus d’Obala et de Nkoltomo 2. Toutes les fois que j’ai entendu parler de création d’un village dans un arrondissement, cela s’est fait par une opération de diminution de la superficie d’un village à l’intérieur du même arrondissement ; c’est le cas, d’ailleurs irrégulier, de Yemessoa 3 à partir de Yemessoa. Il n’y a décidément pas de crime parfait. Car, si le « village de Nkol Ebae» vient tout juste d’être créé, quel est donc le village du même nom qui figure dans les titres fonciers de Monsieur Ndongo Essomba ? Quel est le village du même nom qui figure dans l’Almanach des villages de la Lékié ? Si Monsieur Ewolo Joseph vient toujours d’être établi chef du village nouvellement créé de «Nkol Ebae», quel est le village du même nom dont Monsieur Ndongo Essomba affirmait l’existence avec pour chef tantôt Ewolo Joseph, tantôt Nyebele Séverin, tantôt Ayissi Mebara ?

Monsieur le Ministre, Monsieur le Préfet, vous êtes l’un et l’autre du grand Ouest, des Grassfields. Ce que vous faites dans la Région du Centre , le feriez-vous à l’Ouest ou au Nord-ouest, ou chez les Kotoko et les Mouzgoum de l’Extrême-nord, sans redouter une levée de boucliers instantanée ? Vous le faites avec le sourire dans la Région du Centre, parce que vous vous dites : «Les Beti, ces jouisseurs devant l’Éternel, sont efféminés », c’est-à-dire amorphes, sans volonté, indolents, apathiques, abouliques. Vous le faites dans la Lékié parce que, vous dites-vous, « les Etón sont fous », des «mangeurs de savon», autrement dit, des gens stupides.

Ce que vous n’avez pas le droit de faire chez vous, vous n’avez pas davantage celui de le faire chez autrui. Le document publié par le Ministre Directeur du Cabinet civil à l’occasion du décès de l’honorable Ndongo Essomba était clair ; le protocole du jour  et le Livre des obsèques en font foi : les obsèques se sont déroulées à Obala. Le document de la Présidence de la République a été falsifié avant les obsèques, après lesquelles Obala a été réhabilité dans le Livre des obsèques. C’est cette entreprise de falsification, Monsieur le Ministre et Monsieur le Préfet, que vous continuez: un texte de la Présidence de la République corrigé par le Maire d’une Commune ? un Ministre de la République et un Préfet procédant de leur initiative au réaménagement du territoire administratif d’un département ? Ces actes d’insubordination et de de subversion cachent, à mon avis, un axe de conspiration contre la République, avec quelque Catilina encore en retrait .

On ne peut pas faire un  bon travail d’administration en négligeant l’histoire, la géographie et l’anthropologie des lieux : excepté les Mbóg-Ndzom qui y sont d’installation très ancienne, il n’y a pas de Mbókaní dans l’arrondissement de Sa’a. Pourquoi, Monsieur le Ministre et Monsieur le Préfet, tient-on à cette déportation administrative d’une partie de la population mbókaní de Nkoltomo 2 à Sa’a ? Pour des raisons de transparence, je tiens à vous informer que nous, Mbókaní et ressortissants de l’arrondissement d’Obala, avons déjà rédigé un mémorandum à l’adresse de Monsieur le Président de la République à qui nous confions notre colère, notre requête en vue de l’annulation pure et simple de l’acte de création de ce village dans notre territoire administratif, et aux dépens de notre arrondissement. Pour ne pas vous manquer de loyauté, c’est dans la présente Lettre ouverte que je lance aux Mbókaní et ressortissants de l’arrondissement d’Obala un appel à la mobilisation.

Chers frères et sœurs, nos élus, Monsieur le Maire et Monsieur le Député, ne s’étant pas encore manifestés, il est nécessaire que nous prenions nous-mêmes nos responsabilités. Que vous soyez dans le pays ou de la diaspora,  j’en appelle à votre fierté identitaire afin que nous nous mettions ensemble dans un mouvement concerté de revendication de notre identité ; réclamons ensemble  l’intégrité du territoire administratif de notre arrondissement . En bons citoyens, il ne s’agira pas de recourir à la violence, par exemple de nous en prendre à des édifices publics ou privés, ou à des infrastructures d’intérêt public, comme notre belle Route nationale numéro 4. Notre mouvement de revendication, dont je conçois l’action comme imminente, s’inspirera des principes du combat sans violence dont la doctrine a été conçue par Indira Gandhi et le pasteur Martin Luther King. Il nous suffira de distribuer des tracts aux passants sur la Route nationale numéro 4, qu’ils soient dans les voitures ou à pieds ; grâce à cette stratégie, la haute attention du Président de la République, qui n’est pas au courant de ce que nous vivons, sera sans doute attirée. J’imagine que nos protagonistes mobiliseront les forces de l’ordre contre nous. S’il s’agit de la gendarmerie d’Obala, ou même de la Légion de Monatélé, nous accepterons le dialogue ; nous le refuserons en revanche catégoriquement s’il s’agit de la gendarmerie de Sa’a, qui voudrait ainsi agir en dehors de son territoire : tant qu’il n’y a pas un texte du Président de la République lui-même disposant expressément que la partie routière de Nkoltomo 2 passe sous commandement administratif de Sa’a, nous refuserons tout dialogue avec quelque autorité que ce soit venant de cet arrondissement.

Monsieur le Ministre, Monsieur le Préfet, tout en vous priant de bien vouloir agréer l’expression sincère de mon profond respect pour les fonctions de l’État auxquelles il a plu au Président de la République de vous établir, je vous demande humblement de considérer avec intérêt les réflexions que je vous ai confiées dans la présente Lettre.

Nkoltomo 2 ( Obala ), le 10 septembre 2023

Joseph Ndzo

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