Ferdinand Ngoh Ngoh a-t-il été auditionné par le Tribunal criminel spécial (TCS) dans le cadre de l’enquête ouverte sur la gestion des 180 milliards de fonds destinés à la lutte contre la propagation du Covid-19 ? Ce n’est pas si difficile à savoir, une audition n’est pas une Arlésienne. Mais apparemment les faits ne sont plus si importants à rétablir ni pour les partisans ni les pourfendeurs du secrétaire général de la présidence de la République. Seuls importent les coups portés soit pour défendre soit pour balafrer la réputation de ce proche collaborateur à qui on prête rien de moins que l’ambition de succéder à son chef. C’est à ce moment que son audition ou pas par le TCS permet de savoir si Ferdinand Ngoh Ngoh bénéficie de la protection bienveillante du président de la République, synonyme de soutien ou d’adoubement comme dauphin.

En effet, si le secrétaire général de la présidence de la République est passé sous les fourches caudines des enquêtes du TCS, comme l’avait révélé le périodique Kalara, repris avec des détails supplémentaires par quelques lanceurs d’alerte, cela signifierait que Paul Biya en personne, et personne d’autre, a permis un tel accomplissement. On sait que le ministre d’Etat en charge de la Justice ne porte pas le SGPR actuel dans son cœur, et que rien ne lui ferait tant plaisir que la déchéance de l’homme qui lui communique les « très hautes instructions du chef de l’Etat », y compris sur des dossiers judiciaires en cours. Ce n’est donc pas Laurent Esso qui empêcherait le TCS d’essayer de coincer le chef de la Task force d’Etoudi, dépositaire d’une pouvoir inversement proportionnel à la forme physique du Président.

On sait que le ministre d’Etat en charge de la Justice ne porte pas le SGPR actuel dans son cœur, et que rien ne lui ferait tant plaisir que la déchéance de l’homme qui lui communique les « très hautes instructions du chef de l’Etat », y compris sur des dossiers judiciaires en cours.

Laurent Esso est donc celui qui aurait tout orchestré pour l’audition du SGPR, supervisant même la rédaction du questionnaire soumis au plus proche collaborateur de Paul Biya. Le ministre de la Santé Manaouda Malachi, la ministre de la Recherche scientifique Madeleine Tchuente ou encore le conseiller économique du président de la République, Jean-Claude Ayem, animateur de la Task force Covid-19, ont été, quant à eux, déjà entendus. La boucle de cette enquête ne pouvait se boucler qu’avec des informations que seul détient le SGPR.

Les partisans de ce dernier démentent avec grande conviction toute audition du SGPR par le TCS. En effet, il n’existe pas de témoignage d’une audition de Ferdinand Ngoh Ngoh, ni le jour, ni le lieu où elle se serait déroulée. Les dénégations des proches de Ngoh Ngoh sont tout simplement difficiles à entendre parce qu’il est impossible de prouver qu’on n’a pas été entendu. D’où l’enlisement de la polémique, qui se nourrit du silence du TCS et d’un contexte de plus en plus chargé par les manœuvres de moins en moins sourdes de la succession de Paul Biya.

Quoi qu’il en soit, l’audition d’un SGPR est sans précédent dans notre pays. Jusqu’à la polémique actuelle, des SGPR de Paul Biya avaient eu maille à partir avec la justice mais aucun pendant qu’il était en fonction. Titus Edzoa est interpellé alors qu’il a démissionné de son poste de ministre de la Santé, plusieurs mois après avoir quitté le secrétariat général de la présidence. Marafa Hamidou Yaya n’était plus SGPR au moment de son arrestation, il avait même eu le temps d’être Minat entre 2002 et 2011. Atangana Mebara avait déjà quitté le Minrex, son point de chute après le secrétariat général de la présidence, quand il avait été écroué à Kondengui.

Mais aussi haut placé qu’il soit, Ngoh Ngoh reste fragile, à la merci d’un remaniement ministériel qui pourrait soit le conforter, soit l’écarter irrémédiablement.

Moins que ces individus, c’est la fonction que Paul Biya a de tout temps protégé. Dans son excellent livre « Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités » (L’Harmattan, 2016), Jean-Marie Atangana décrit cette fonction hors du commun. Paul Biya a aidé à la mythifier, il ne sera pas celui qui la démystifiera. Seulement, il ne faut pas tenir pour négligeable le cas Ngoh Ngoh, l’homme à la longévité à son poste a battu tous les records et la réalité d’une bataille de succession de plus en plus prégnante. Il y a aussi la condition physique de Paul Biya qui, même s’il rassure sur sa lucidité à toute épreuve, n’efface pas les inquiétudes sur ses capacités à trancher.

Ce qui se joue devant nous est déterminant pour la suite. Contrairement à ses concurrents, Ngoh Ngoh sait que son statut de présidentiable est intimement lié à sa proximité actuel avec le chef de l’Etat. Les coups qu’il reçoit viennent d’adversaires ayant perçu qu’une telle position privilégiée lui confère un ascendant indubitable. Mais aussi haut placé qu’il soit, Ngoh Ngoh reste fragile, à la merci d’un remaniement ministériel qui pourrait soit le conforter, soit l’écarter irrémédiablement.

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