La Fonction publique est le monstre de demain. Le mouvement des enseignants OTS, qui a failli compromettre l’année scolaire 2021/2022, n’est qu’un aperçu de ce que ce mastodonte au service de l’Etat peut tout aussi être son pire cauchemar. Avec près de 350 000 agents, la Fonction publique est le plus gros employeur du pays. En 2011, la Fonction publique ne disposait que de 190 000 agents. En dix ans donc, l’Etat a doublé ses effectifs, compte non tenu de la fonction publique locale avec le développement des collectivités territoriales décentralisées et des conseils régionaux (360 mairies, 14 mairies de ville et 10 conseils régionaux). Ces employés ont beau ne pas émarger directement dans le budget de l’Etat, ils n’en sont pas moins des employés du service public payés par le contribuable.

Le Premier ministre Joseph Dion Ngute s’est ému de cette croissance exponentielle des effectifs, d’autant qu’elle est corrélée à la masse salariale. Premier payeur du pays, l’Etat dépense depuis l’année 2021 plus de 1000 milliards annuels pour les salaires de ses fonctionnaires et agents. Cette même dépense de personnel était de 680 milliards FCFA en 2011. Elle a donc explosé en dix ans, avec une augmentation de plus 5% par an. La CEMAC a établi un ratio de soutenabilité des dépenses de personnel de l’Etat en l’indexant sur le volume des recettes fiscalo-douanières à l’année, qu’elle a fixé à 35%. Le Cameroun a déjà allègrement franchi cette barre pour se hisser à 42%. C’est un constat de sous-performance de la Fonction publique camerounaise.

Toutefois, ce que la CEMAC feint d’ignorer – et que les Etats assument sans honte –, c’est que la Fonction publique n’a pas qu’une obligation de performance, elle se doit aussi d’être concomitamment diverse et représentative de toutes les composantes socio-ethniques. C’est un instrument politique que le pouvoir utilise pour régler et réguler la pression sociale. A preuve, entre 2010 et 2020, l’Etat a recruté plus de 50 000 enseignants supplémentaires et plus de 25 000 diplômés. Le gouvernement a choisi d’avoir plus de fonctionnaires moyennement rémunérés, ce qui lui sert de soupape sociale, au lieu d’en avoir moins mais bien payés.

Seulement, le Comptage physique du personnel de l’Etat (COPPE) entamé en 2018 a révélé que 8766 agents de l’Etat, pourtant payés chaque mois, n’ont pas procédé au recensement. Le ministre de la Fonction publique, Joseph LE, a indiqué qu’au terme des enquêtes diligentées seuls 177 personnels ont pu être réhabilités. On peut en conclure que le Minfopra et le Minfi ont identifié environ 8600 faux agents de l’Etat dont la solde est depuis lors suspendue, en attendant leur révocation ou licenciement qui s’opère progressivement. Déjà 1400 actes de ce type ont été délivrés. L’Etat y gagne 30 milliards.

A la faveur de la mission du Consupe (Contrôle supérieur de l’Etat) sur le chapitre 65 dit des « dépenses communes de fonctionnement », 1790 agents de l’Etat intéressent les auditeurs. Très tôt, les incongruités de la mission ont été décelées, mais le fond du problème reste entier. Il existe de tout temps des abus sur l’utilisation des ressources budgétaires allouées aux missions des agents de l’Etat.

Matricules et salaires fictifs, missions fictives ou excessives, corruption… Les fonctionnaires font de la péréquation. Les salaires n’étant pas indexés sur l’inflation, ils multiplient les combines d’ajustement des revenus avec une fertilité impressionnante. C’est ce qui explique la passivité de la majorité des fonctionnaires devant l’augmentation des coûts de la vie. La dernière augmentation des salaires des agents de l’Etat au Cameroun date du 7 juillet 2014 et s’élevait à 5%. Avec une inflation annuelle moyenne des prix de 3%, et huit ans plus tard, cette hausse des salaires a plusieurs fois été absorbée. On devrait être avoir atteint le point de rupture, mais tout semble sous contrôle.

L’Etat choisit de fermer les yeux puisque la situation semble arranger tout le monde. A tort. Le système informel de rémunération parallèle dans la Fonction qui croit sous nos yeux est incontrôlable, inique et dangereux. C’est une bombe à retardement au regard de l’injustice sociale qu’il crée. C’est l’acceptation que le budget de l’Etat est une proie à la merci du prédateur le plus fort ou le plus malin. C’est l’accentuation des inégalités au sein de la Fonction publique, où deux parcours professionnels identiques sont l’un locataire à Nkolndongo et l’autre propriétaire immobilier à Odza. C’est la mise à l’écart de certains corps de métier comme les enseignants, dont le salaire est la seule source de revenus.

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