Partagé entre son village et le palais d’Etoudi, le chef de l’Etat reste maître du jeu et son pouvoir est intact. Il observe bien les batailles de pouvoir qui se jouent dans son entourage pour la succession, mais n’indique toujours pas son choix.
Boko Haram dans l’Extrême-Nord, les séparatistes terroristes dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest et les débordements de l’insécurité centrafricaine à l’Est sont en net recul ces derniers mois. Paul Biya a beau ne pas baisser la garde, comme on l’a vu avec les nominations à la tête des 3ème et 5ème régions militaires qui couvrent le Nord-Ouest et l’Ouest puis le Sud-Ouest et le Littoral, il est moins anxieux. Il préfère en effet de loin avoir affaire au marigot de la politique national dont il observe le jeu des crocodiles avec malice.
Depuis le début de l’actuel septennat en 2018, hormis les manifestations velléitaires post-électorales du MRC, Paul Biya semble bénéficier d’un consensus national pour un mandat apaisé voire convivial, sans doute parce que chacun espère que c’est le dernier. A la vérité, le sort de Paul Biya n’intéresse plus que pour sonder ses vœux testamentaires. Car, même si peu d’acteurs politiques en parlent, en tout cas pas en public, la succession est l’obsession collective. L’adversaire n’est donc pas Paul Biya, définitivement imbattable, mais celui qui prétendra vouloir prendre son relais dans son camp.
L’omerta observée sur le champ politique, notamment dans les rangs de la majorité, s’explique par le culte du secret, au moins de la discrétion, du chef de l’Etat quant à ce sujet. Il a presque toujours éludé la question de la succession, même s’il donne à chaque fois des indices comme autant de pierres blanches destinées à mettre les analystes sur la bonne voie. En 2009, Paul Biya avait répondu à Ulysse Gosset au cours d’une interview à France 24, diffusée le 30 octobre 2007 : « Je crois que dans une république qui fonctionne bien, le mot « dauphin » résonne mal ». Mais à Amélie Tulet de RFI, il a affirmé en conférence de pres, le 25 août dernier en le palais d’Etoudi, en présence du président français Emmanuel Macron « quand ce mandat arrivera à expiration, vous serez informé si je reste ou si je rentre au village».
Continuer ou rentrer au village
Ainsi pour la première fois, Paul Biya n’a pas exclu la perspective de « rentrer au village », ce qui, venant de lui, est une importante confidence, une quasi-révélation. Le fils de Mvomeka doit garder constamment le suspense sur ses intentions pour conserver intacte son imprévisibilité, siège de son pouvoir, du respect voire de la crainte qu’il inspire. Les fins de règne, a fortiori quand le chef a joui d’une exceptionnelle longévité, peuvent en effet être catastrophiques quand elles sont mal négociées et ouvrir la voie à l’instabilité.
Paul Biya a réussi l’exploit de tenir son monde en respect, ne laissant aucune ambition présidentielle dépasser les limites. Lesquelles ? Personne ne sait. Les mouvements des franckistes, sorte d’associations protéiformes de soutien au fils du chef de l’Etat, Franck Biya, l’ont appris à leurs dépens en août dernier, quand ils ont été reniés et leurs banderoles démontés sur ordre venu du palais, alors qu’ils croyaient exprimer un désir présidentiel. Le message est simple : si Paul Biya peut agir ainsi pour ce qui concerne son propre fils, il peut faire pire pour les autres. Message reçu cinq sur cinq par les fortes têtes de son camp.
Mais Paul Biya n’est pas dupe. A 89 ans, il a gardé une lucidité que ses visiteurs confirment et qui se dévoile lors de ses rares prises de paroles publiques, comme quand il mène par le bout du nez la journaliste Amélie Tulet de RFI qui veut le sonder sur ses intentions pour 2025. Son sens de la répartie n’a pas varié. Il est juste plus sédentaire. Son dernier voyage à l’étranger date de mai 2022, pour un « séjour privé en Europe ». Sa dernière sortie officielle hors du Cameroun était en novembre 2019 en France, invité par Emmanuel Macron au deuxième forum de Paris pour la paix. C’est le même Macron qui l’a sorti de ses appartements privés, le 25 septembre 2022, pour l’accueillir non pas à l’aéroport comme il l’avait fait pour tous ses prédécesseurs venus au Cameroun, mais sur le perron du palais de l’Unité, privilège réservé aux hôtes de prestige. S’il sacrifie à l’obligation des audiences, donnant lieu à un compte rendu dans le quotidien gouvernemental, le reste du temps, il se laisse prendre en photo à l’occasion de son anniversaire ou celui de son épouse, Chantal Biya.
Il les a tous à l’œil
Paul Biya n’intervient plus que très peu dans la vie publique, laissant le secrétaire général de la présidence de la République porter ses « très hautes instructions ». Ses ministres jouissent aujourd’hui d’une large liberté d’actions. Peut-être regarde-t-il , amusé, les coups qui se donnent et se rendent entre les barons de son système. Même les membres du gouvernement sont perturbés par l’annonce d’un remaniement tous les vendredis, leur longévité est exceptionnelle, soit trois ans et demi. Suffisamment de temps donc pour que le chef de l’Etat ait une fiche sur chacun. Tant qu’aucune tête ne dépasse, la sérénité actuelle peut se poursuivre.
Arthur L. Mbye