Deux événements consécutifs méritent qu’on leur établisse un lien pour mieux mettre en perspective les enseignements qu’ils génèrent dans une actualité qui ne prend plus de pause.
Il s’agit du décès de l’ancien vice-Premier ministre Amadou Ali, disparu le 27 septembre 2022 des suites de maladie et déjà enterré dans son Kolofata natal, dans la simplicité et la dignité qu’impose la religion musulmane. Les images de son linceul, sobrement posé au milieu des siens, ont ému l’opinion publique à cause du contraste entre ce corps inanimé et le pouvoir que cet homme a incarné. L’hommage de la Nation n’a pas réussi à dissiper l’évidence de l’inanité de la vie. Amadou Ali a vogué entre ministères stratégiques et fonctions de souveraineté sans interruption, dès l’avènement du Renouveau dont il a été l’une des figures les plus fortes.
Amadou Ali a dirigé la gendarmerie nationale, le ministère de la Défense, le secrétariat général de la présidence de la République, le ministère de la Justice avant d’échouer en fin de carrière comme ministre délégué à la présidence chargé des Relations avec les Assemblées dont chacun a su que c’était sa porte de sortie de la vie publique. Il a dirigé l’équipe de défense du Cameroun devant la Cour internationale de justice de la Haye dans le différend territorial avec le Nigeria qui a abouti en octobre 2002 à une décision favorable à la camerounité de Bakassi.
Amadou Ali, figure iconique du scandale de Wikileaks au Cameroun
Le fils de Kolofata n’est pas étranger à la création d’une unité spéciale pour combattre les coupeurs de route dans le Grand-Nord, qui deviendra plus tard le Bataillon d’intervention rapide (BIR). Il est la figure iconique du scandale de Wikileaks au Cameroun avec la divulgation de ses confidences à l’ambassadrice des Etats-Unis, Janet Garvey, dans lesquels il excluait les Anglo-Bamis de la succession de Paul Biya. C’est, enfin, la tête pensante de l’opération Epervier, destinée à la lutte contre la corruption, à l’origine de l’emprisonnement d’une palette de pontes du régime.
Il y a, d’autre part dans la même actualité, à quelque une semaine de différence, l’acquittement, le 4 octobre, de Dieudonné Oyono, ancien recteur de l’université de Douala. Sa libération intervient quatre ans après son incarcération à la prison de Kondengui, où il avait été écroué en 2018. L’interpellation de cet ancien coordonnateur du Programme national de gouvernance (PNG) avait abasourdi l’opinion publique, démolissant tout espoir de bon grain dans l’ivraie ambiante. « Pas lui, pas après avoir prêché la bonne gouvernance », entendait-on. Dieudonné Oyono était accusé, présumé innocent, il a finalement été innocenté mais ce passé n’est pas effacé.
Dieudonné Oyono, une victime de plus de l’Epervier
Quel lien avec Amadou Ali, l’un du Mayo Sava et l’autre de la Mefou Akono ? Dieudonné Oyono a sans doute été victime des méthodes initiales de l’opération Epervier, menée tambour battant par Amadou Ali à partir de l’année 2005. Dotée de nobles objectifs et plébiscitée au départ, l’opération Epervier s’est finalement caractérisée par son aveuglement, sa légèreté et son instrumentalisation. Une liste de biens mal acquis, des personnalités jetées à la vindicte populaire, d’autres arrêtées, des enquêtes menées, au Cameroun, en Europe, aux Etats-Unis, Me Jacques Vergès et Francis Dooh Collins mis à contribution, le FBI, l’ambassade des Etats-Unis… et finalement pas grand-chose des centaines de milliards annoncés. Des anciens ministres et Dg inculpés, le ministère public a éprouvé toutes les difficultés à soutenir les chefs d’accusation retenus, certains s’étant révélés incongrus pendant les confrontations.
L’opération Epervier est-elle un échec total, au point qu’elle mérite d’accompagner Amadou Ali dans son repos éternel ? A la vérité, de cette période qui ne fut pas que glorieuse certes, le pays a hérité d’un esprit des lois anti-corruption, d’un tribunal criminel spécial (TCS), d’une commission nationale anti-corruption (CONAC), d’une Agence nationale d’investigation financière (ANIF) et d’un contrôle supérieur de l’Etat désormais redouté. Il ne tient qu’aux dirigeants d’en faire un usage approprié, en tout cas pas un instrument de règlement de comptes politiques.