On sait que le chef de l’Etat a instruit, début septembre 2023, la mise sur pied d’un Comité interministériel chargé de conduire l’opération de rachat des actions d’Actis au sein d’Eneo. La correspondance du secrétaire général de la présidence de la République vient rendre officielle la volonté gouvernementale d’aboutir à une renationalisation de l’entreprise de fourniture des services de l’électricité privatisée sous la pression des institutions de Bretton Woods en juillet 2001. L’année dernière, la CNPS (Caisse nationale de prévoyance sociale) puis la Société nationale des hydrocarbures (SNH), toutes deux des entreprises à capitaux publics, avaient été citées comme intéressées par la reprise des 51% d’actions détenues par le fonds d’investissement britannique Actis. Aucune des deux boîtes n’avait officiellement confirmé ses intentions, même si des informations concordantes indiquaient que la CNPS a transmis une expression d’intérêt le 13 novembre 2022 au fonds britannique Actis, et peu d’observateurs croyaient en une renationalisation d’Eneo dans un secteur où des investissements sont relativement réguliers.
L’opération n’est pas encore bouclée, elle ne fait que commencer. Mais on peut déjà imaginer les enjeux que va charrier le rachat des actions que l’Etat avait vendues il y a 22 ans. L’acheteur s’appelait AES Sirocco, une société américaine, avait déboursé 53 milliards de FCFA pour 51% des actions alors entièrement publiques. Mark Miller, le directeur général nommé, avait promis 68 000 nouveaux branchements par an sur les cinq prochaines années et 1 000 milliards d’investissement dans le même temps. En 2006, AES avait plongé le Cameroun dans une inédite crise énergétique ponctuée de délestages. On verra très peu les 1 000 milliards d’investissements promis. En novembre 2013, AES Sirocco décide de vendre ses part dans AES Sonel au fonds d’investissement Actis. L’opération est bouclée à 220 millions de dollars, soit 110 milliards de FCFA. Une belle affaire, dirait-on, mais il faut tenir compte de la naissance au sein de AES Sonel des filiales KPDC (Kribi Power Development Corporation) et DPDC (Dibamba Power Development Corporation).
A combien Eneo va-t-elle fixer la prix de vente de ses actions ? Là est la première question. La seconde est le sort à réserver à la dette de l’Etat vis-à-vis d’Eneo estimée en 2021 à près de 165 milliards de FCFA. Ce qui avait contraint l’Etat à un emprunt de 118 milliards au bénéfice d’Eneo, incapable de régler sa dette fournisseur. Ces questions et bien d’autres vont certainement trouver réponse au sein du Comité interministériel mis sur pied par le chef de l’Etat. Louis Paul Motaze, qui le conduit, est l’assurance que les intérêts de l’Etat et des employés de l’entreprise d’électricité seront préservés. D’ailleurs, au regard du silence des syndicats, on a l’impression qu’ils sont favorables au retour de l’Etat comme actionnaire majoritaire et exclusif.
Au-delà de l’engouement autour d’une nationalisation de Eneo, il faut se poser l’incontournable question sur la situation réelle de l’entreprise dont veut se séparer Actis. Alors que le fonds d’investissement britannique bénéficie d’une concession d’exploitation jusqu’en 2031, son choix de vendre au moment où des investissements massifs sont consentis dans le secteur, comme à Nachtigal (420 MW), peut laisser songeur. L’entreprise semble avoir atteint son seuil d’incompétence, alors que l’énergie électrique est le carburant dont l’Etat a besoin pour stimuler l’économie. L’Etat-stratège semble se réveiller pour prendre en main la vision stratégique qui se loge dans l’enjeu de l’électricité à la fois pour les entreprises et les ménages. Engagé dans la SND 30 (Stratégie nationale de développement 2020-2030), l’Etat prend le contrôle des priorités en matière d’investissement dans ce secteur dit de souveraineté. En tout cas se rend-il compte, tirant expérience de la nationalisation de la Camerounaise des eaux (CDE), que la situation ne sera pas pire qu’avant. Au moins, il n’y a pas une expatriation des profits alors que le cahier des charges n’est pas respectée en termes de services au client.
Le revers de la médaille est de reproduire les conditions qui ont conduit à la privatisation de l’entreprise il y a 22 ans. Ce sont les tares connues de la gestion publique avec leur escorte de perte d’efficacité et de performance. C’est un risque à prendre, c’est un engagement gouvernemental à assumer, c’est un défi pour les managers publics.