Le pays traverse une période d’inaction. Les remaniements, à défaut d’être de vrais accélérateurs, ont souvent servi à une oxygénation, fût-elle éphémère, du travail gouvernemental. L’attente lasse de ce jeu de chaises musicales s’est transformée en résignation. Voire en acceptation de l’immobilisme. L’opinion publique semble être passée à autre chose, comme si elle avait été mise dans la confidence que le chef de l’Etat ne bougerait pas avant un certain temps.
Depuis le 4 janvier 2019, Paul Biya n’a pas remanié son gouvernement, malgré des élections législatives de février 2020, qui ont rafraîchi la majorité RDPC à l’Assemblée nationale, et plusieurs décès de ministres en fonction. Comment comprendre cette longévité aussi surprenante qu’exceptionnelle d’une équipe gouvernementale ? Cette question ne se pose que parce que le chef de l’Etat semblait s’être fixé une durée de vie moyenne de gouvernement d’un peu plus d’un an. En tout cas, en 41 ans de pouvoir, Paul Biya a remanié 34 fois. De 1982 à 1989, il a composé 13 gouvernements différents. Le remaniement est une arme politique dont Paul Biya aura usé et, sans doute, abusé.
Il est donc intriguant de voir ce renard politique renoncé, sur la fin, à son arme politique favorite. Le chef de l’Etat s’est-il, sur le tard, rendu compte que le changement régulier des ministres n’est pas forcément corrélé à la performance gouvernementale ? Rien n’est moins sûr. Cette évidence s’est si longtemps posée à son analyse réputée fine qu’on en déduit que le remaniement chez Paul Biya est d’abord une question d’arithmétique électorale et de tactique socio-politique avant d’être la recherche d’efficacité. Ce qui était vrai hier ne l’est-il plus aujourd’hui ?
A l’évidence, on ne peut analyser la longévité actuelle du gouvernement sans faire le lien avec l’ambiance de fin de règne qui prévaut au sein de la biyaïe. A 90 ans d’âge, le calme et la sérénité sont d’or. Et le statu quo de diamant. Le sphinx de Mvomeka n’a jamais supporté d’être bousculé, maintenant il ne rêve que de stabilité. Dans six mois, le gouvernement du 4 janvier 2019 aura effectué son quinquennat, l’équivalent d’un mandat présidentiel dans certains pays, un record. Paul Biya n’a pas changé son plus proche collaborateur –le SGPR– depuis 12 ans, ce qui est inédit. La relation avec le directeur de son cabinet civil depuis six ans, Samuel Mvondo Ayolo, est si fusionnelle, si filiale et si apaisée qu’on dirait un père et son fils. Son propre fils, Franck Biya, son épouse, Chantal et son conseiller spécial, le contre-amiral Joseph Fouda complètent son entourage immédiat où Paul Biya n’admet plus de présence tectonique.
A quelques mois de la borne symbolique du 4 janvier 2024, on établira si le chef de l’Etat a eu tort toute sa vie politique en changeant de ministres tout le temps. D’ores et déjà, il est permis de dire que rien n’a fondamentalement changé, le gouvernement est toujours aussi inefficace à projeter le pays vers une dynamique de croissance et de prospérité. Le temps de réalisation des projets est toujours aussi long. La réactivité des ministres est tout autant faible. Les dernières nouvelles économiques sont même simplement mauvaises, avec une dégradation de la notation du pays. Le ministre des Finances doit déployer un surcroît d’ingéniosité pour honorer le service de la dette publique, tout en dégageant suffisamment de ressources pour assurer le fonctionnement de l’Etat et financer l’investissement public.
Il n’est pas pertinent de lier les contreperformances du gouvernement actuel à son exceptionnelle longévité. Il s’avère que beaucoup de ministres ont depuis atteint leur seuil d’incompétence, incapables de se réinventer. D’où cette impression d’un pays en panne, où les ordures ménagère répandent leurs exhalaisons pestilentielles dans nos cités, où les routes tuent à concurrence avec les pathologies, où les immeubles s’effondrent tels des châteaux de cartes… sans qu’aucun responsable ne paie pour ces fautes.
Parfait N. Siki