Thierry Marchand, le nouvel ambassadeur de France au Cameroun, devrait rester à Yaoundé jusqu’à la présidentielle de 2025. La France n’entend pas perdre pied au cœur de l’Afrique centrale.
On espère que Thierry Marchand n’aura pas besoin de treillis pendant son séjour au Cameroun. Le nouvel ambassadeur de France est un général qui préfère manifestement les arrondis de la diplomatie à la virilité militaire. De toute évidence, il n’aura pas de guerre à mener à Yaoundé, en tout cas pas celle des armes, espère-t-on. Même s’il n’échappe à personne que la nomination d’un officier supérieur de l’armée française qui devrait rester au moins jusqu’en 2025 n’exclut pas qu’Emmanuel Macron pense à toutes les hypothèses et envoie le message que la France entend veiller sur ses intérêts et jouer un rôle prééminent pendant cette période qui s’annonce délicate pour le Cameroun.
En 2011 déjà, la France avait effectué un exercice similaire en nommant au Cameroun son ambassadeur à Ouagadougou, Gilles Thibault, qui avait été, deux ans plus tôt, les yeux et les oreilles de son pays lors de la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso. Il était arrivé à Yaoundé fort de cette expérience de la transition par la rue, deux ans avant la présidentielle agitée de 2018. Il n’a pas non plus échappé aux observateurs que Thierry Marchand, ci-devant directeur de la Coopération de sécurité et de défense (DCSD) au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, est le seul haut gradé concerné par les mouvements de la diplomatie française, qui ne doivent rien au hasard.
Thierry Marchand, qui a déjà présenté la copie figurée de ses lettres de créance du ministre des Relations extérieures, Lejeune Mbella Mbella, arrive dans un pays où les critiques récurrentes d’une bonne partie de l’opinion publique, reprises et accentuées par quelques activistes et opérateurs politiques, vis-à-vis de l’ancienne métropole n’affectent pas fondamentalement les intérêts de la France. En tout cas, le Cameroun n’est ni la RCA, ni le Mali et encore moins le Burkina Faso, où le sentiment anti-français suffit à faire embraser n’importe quelle manifestation de rue. Il y a bien une poussée russe au pays de Paul Biya, qui ne renie pas lui-même ses relations avec la Russie poutinienne, mais aucune présence n’est exclusive. Le groupe Wagner y est aussi à l’aise que les anciens du Mossad, les Américains, les Français… et les Chinois.
Thierry Marchand devra toutefois optimiser les acquis de son prédécesseur, Christophe Guilhou, mal noté par l’Élysée sur le dossier du Coq sportif. En visite à Yaoundé les 24 et 25 août, Emmanuel Macron avait exprimé son mécontentement au diplomate au cours d’un aparté avec Yannick Noah, défenseur des intérêts de la firme française en contentieux avec la Fédération camerounaise de football (FECAFOOT). Le président français lui avait reproché son manque d’anticipation sur la crise entre le président de la FECAFOOT et la firme française, alors que Christophe Guilhou était l’invité permanent de Samuel Eto’o Fils pendant la phase finale de la CAN Cameroun en janvier-février 2022. Cette proximité n’avait d’ailleurs pas échappé à l’ambassadeur d’Espagne, intrigué que son concitoyen espagnol préfère la compagnie française plutôt qu’ibérique.
La France au Cameroun n’est donc pas en régression, même si elle a perdu des parts de marché au bénéfice d’entreprises chinoises, comme Christophe Guilhou a dû le reconnaitre, au cours du Forum diplomatique de l’IRIC (Institut des relations internationales du Cameroun) en juin 2021. Elle a même gagné d’importants projets structurants. A l’exemple du secteur de l’électricité, où le Cameroun sera bientôt dans une dépendance quasi-totale de la France. Selon des informations puisées à bonne source, le britannique Actis devrait revendre ses parts à EDF (Electricité de France) à plus ou moins brève échéance. Ce géant de l’énergie français a misé sur le Cameroun, avec déjà le barrage hydroélectrique de Nachtigal.
C’est un investissement de près de 800 milliards de FCFA actuellement en cours sur la Sanaga, prévu pour produire 420 MW supplémentaires à injecter dans le réseau électrique camerounais dès le premier trimestre 2024. Le projet Nachtigal, porté par la Nachtigal hydro power company (NHPC), dont EDF est actionnaire majoritaire avec 40% des parts, est présenté comme « le plus important partenariat public-privé en cours en Afrique dans le domaine de l’énergie ». A la fin de ce projet, les capacités de production du Cameroun vont croître de 30%.
EDF est aussi positionnée sur le projet de barrage de Kikot d’une puissance comprise entre 450 et 550 MW. La firme française a signé des accords d’exclusivité et de développement avec le gouvernement camerounais en juin 2021. En septembre 2022, EDF a intéressé la Société financière internationale (SFI), déjà partenaire du projet de Nachtigal, pour la mobilisation du financement global de Kikot estimé à 655 milliards de FCFA.
La France est aussi offensive dans les Travaux publics avec Razel à qui rien n’échappe plus vraiment. Razel a remporté deux des trois lots de la section urbaine du projet d’autoroute Yaoundé-Nsimalen. Des entreprises chinoises étaient initialement positionnées sur ce projet dont la première section a été réalisée par la China communications construction (CCC).
Certes TotalEnergies a quitté le secteur pétrolier aval pour ne devenir qu’un marketeur depuis 2010, Crédit Agricole a cédé ses parts au marocain Attijariwafa dans la SCB, et Bolloré n’est plus au terminal à conteneur du port de Douala, malgré toutes les décisions de justice en sa faveur dans le contentieux qui l’oppose au port autonome de Douala. Mais les autres entreprises françaises restent bien présentes.
Orange, Vilgrain, Castel, Vinci, Schneider, CFAO, Lafarge, Société générale, Axa, Bouygues, Bolloré, Cegelec, Va Tech, Air France… n’ont pas l’intention d’abandonner le front. Et moins encore depuis qu’un général d’armée vient d’être affecté à Yaoundé en renfort.
Parfait N. Siki