Martin Mimb est sans aucun doute le meilleur analyste sportif de l’heure au Cameroun. Une position qu’il conforte depuis quelques semaines avec des chroniques qu’il distille sur sa page Facebook. On y retrouve sa suave écriture trempée dans sa profonde expérience d’écrivain et de commentateur de matchs. INfo+ a obtenu de l’auteur de reproduire, pour le plaisir de ses lecteurs, l’ensemble des analyses de Martin Mimb sur le chemin qui mène les Lions Indomptables à la Coupe du Monde de la FIFA Qatar 2022. Ce sera « LES MATCHS DE MARTIN ».Les trois premières parties portent sur l’anatomie des Lions Indomptables au cours de chacune de leurs sept participations à la Coupe du Monde, de 1982 à 2014.
SERIE : ANATOMIE DES SÉLECTIONS POUR LA COUPE DU MONDE AU CAMEROUN… PART ONE
Espagne 1982 : Avec Jean Vincent, sans Ekoule et Djonkep
Il n’y a pas une seule Coupe du monde disputée par le Cameroun où la polémique et les frustrations autour de la sélection des joueurs n’étaient pas au rendez-vous. Parfois même, ces sélections sont devenues des affaires d’Etat où les politiques s’invitent à cœur joie. Mais la vérité aussi, c’est qu’il existe des dénominateurs communs qui sont parfois des challenges ou simplement des paris pour l’avenir.
En 1982, le limogeage subit de Zutic Branco au banc de touche et son remplacement par Jean Vincent va laisser des séquelles sur la sélection. Djonkep, Ekoule alors meilleur buteur du championnat, où même BEP Solo le Capitaine de l’Union de Douala champion d’Afrique un an plus tôt, des habitués de la sélection, vont rater le dernier virage. Djonkep pourtant présent à la Can 82 en Libye sera laissé pour une blessure imaginaire qu’il ne reconnaît pas jusqu’à ce jour. Ekoule Eugène meilleur buteur du championnat, est ignoré par le nouvel entraîneur. Pas de motif officiel connu, même si en coulisses il sera dit que le clan du Canon de Yaoundé qui constituait le gros des effectifs, ne voulait pas de lui et préférait leur coéquipier Manga Onguene. Sauf que même lorsque Manga se blesse et est disqualifié pour la Coupe du monde, Jean Vincent préfère le jeune buteur de la Dynamo de Douala Eyobo Alain Gachy. Un vrai mystère qui provoque la colère de Ngassa Happi alors President de l’Union de Douala. Il décide pour atténuer la frustration de son goléador, de lui offrir un séjour tous frais payés, pour l’Espagne, là où se joue la Coupe du monde!
Un élément important à retenir et qui va apparaître dans toutes les autres sélections, l’incorporation de deux ou trois jeunes dans la sélection, avec pour objectif de miser sur l’avenir et pas forcément d’être titulaire. En 82, même si Jean Vincent laisse le jeune Djonkep à peine 20 ans mais qui en 81 était Ballon d’or camerounais, il prend quand même Eyobo et Ebongue Ernest, 20 ans chacun qui venaient de rentrer de la Coupe du monde des moins de 20 ans en Australie. Ils deviendront tous par la suite piliers de cette sélection. D’ailleurs les Emmanuel Kunde 24 ou 25 ans, commençaient à prendre plus de responsabilités que les Tokoto Jean Pierre et qui avaient déjà dépassé 30 ans.
L’anatomie des sélections pour la Coupe du monde a donc toujours été une opération de régénérescence des cellules pour poser les bases des sélections futures, comme nous allons le voir dans la partie II de l’anatomie des sélections dans notre publication de demain. C’est la fièvre du mondial! Attachez vos ceintures.
ANATOMIE DES SÉLECTIONS POUR LA COUPE DU MONDE AU CAMEROUN… PART TWO
Italie 1990- USA 1994 : La gifle de Pagal à Henri Michel
Pour cette deuxième partie dans la compréhension des sélections au Cameroun pour la Coupe du monde, nous allons mettre côte à côte la Coupe du monde 90 et celle de 94. Il est difficile de comprendre les choix des entraîneurs l’une sans l’autre, surtout celle de 1994. N’oubliez pas que le fil rouge de l’analyse ici, est de dévoiler l’état d’esprit qui a présidé aux choix, et les problèmes presque les mêmes à chaque fois. Et généralement à chaque fois, il y a changement d’entraîneur à la veille de la compétition. Certes en 90, on l’avait fait un peu plus tôt et Nepomniachi avait même eu le temps de conduire la sélection à la Can catastrophique en Algérie. Mais en 94, Léonard Nseke qualifie l’équipe pour la Coupe du monde, et il est remplacé à six mois de la compétition par le français Henri Michel. Certaines personnalités du sport devenues subitement les anges aujourd’hui, pilotaient la fameuse commission qui a mis Nseke sur la touche. L’une des grosses conséquences de ces changements généralement est la méconnaissance des effectifs et la rupture des dynamiques. 90 et 94 n’y ont pas échappé.
Qui ne se souvient pas de la gifle de Jean Claude Pagal à Henri Michel? Alors que le sélectionneur des Lions Indomptables est à l’aéroport en France et en route pour la Coupe du monde, Jean Claude Pagal que le Sélectionneur n’avait ni convoqué ni retenu, surgit et lui administre une gifle légendaire. Il lui reproche sa non sélection. Pour comprendre cette attitude de Pagal, il faut rentrer dans les événements précédents autour de la sélection des joueurs. Après un stage plus ou moins soutenu, Henri Michel a déjà une idée de sa liste. Coup de Tonnerre à Yaoundé. Des marches sont organisées pour revendiquer la présence dans cette liste de certains héros de 1990. La pression politique est forte. Mfede, Ndip, Nkono, Milla, Libiih, Maboang, Tataw, Mbouh… sont incorporés de force dans la sélection. Ce n’est pas tout. Francois Omam la star de l’équipe, impose la convocation de son frère aîné André Kana Biyick pourtant blessé. C’est fort de tout cela que Pagal estime que Henri Michel aurait dû aller au bout de sa logique, puisque 94 était la sélection des récompenses pour 90.
Malgré toutes ces pressions, Henri Michel va poser un acte qui va servir par la suite le football camerounais. On lui a imposé des semi-retraités, il décide tout de même de faire le pari de la jeunesse sur quelques aspects. Il est vrai que Patrick « Magic » Mboma qu’il avait l’intention de retenir et beaucoup d’autres jeunes comme William Andem, seront priés de plier bagages. Il bâtit cependant la dorsale de son équipe sur des joueurs jeunes, sans aucune expérience de haut niveau, mais qui deviendront des piliers de la sélection par la suite : Rigobert Song 18 ans, Raymond Kalla 19 ans, Marc-Vivien Foe 19 ans. Le déluge était inévitable, mais il avait posé les jalons du futur. C’est le seul gain qu’une équipe qui n’a pas les moyens de gagner la compétition peut espérer. Il faut savoir que la sélection de 90 était totalement différente. On avait une équipe qui s’était presque constituée depuis 88 et qui ne demandait qu’à être managée. La non-sélection de Ernest Ebongue était donc anecdotique, tout comme les rumeurs de rançonnage de place par Manga Onguene. L’ossature était difficilement contestable.
Quand on ne peut pas gagner la Coupe du monde, on doit au moins bâtir à travers elle les succès futurs. 94 avait posé les jalons, et 98 que nous verrons à la prochaine séquence les a solidifié.